Jumelage Figuig – Berlin, entretien avec Monsieur Bürgermeister
La ville de Figuig vient de signer une convention de partenariat débouchant sur un jumelage avec la ville de Berlin. Saisissant l’opportunité du séjour de Monsieur Herr Bürgermeister, maire de cette ville allemande, à Figuig, nous lui avons proposé cet entretien qu’il a d’ailleurs bien apprécié.
Traitement image Pali.
Figuignews (F.N.) : Monsieur le Maire merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien.
Bürgermeister(H.B.). : Merci à vous aussi.
F.N. : Vous parlez de coopération décentralisée dans la convention que vous aviez signée avec Figuig ?
H.B. : Oui tout simplement parce que nous sommes liés directement sans passer par de grands centres.
F.N. : Comment se fait-il qu’une grande ville comme Berlin noue des liens de coopération ou d’échange avec une petite ville comme Figuig ?
H.B. : Je vous précise que Figuig n’est pas une petite ville.
F.N. : Bon ! Mais vous parlez d’échange entre ces deux villes.
H.B. : Oui, il s’agit bien d’échange.
F.N. : N’est-ce pas trop dire ?
H.B. : Non c’est le mot adéquat.
F.N. : Dans votre convention, vous parlez d’échanges à tous les niveaux. N’êtes-vous pas trop ambitieux ?
H.B. : Non mais plutôt réalistes et même très pragmatiques.
F.N. : Qu’est ce qui pourrait intéresser une ville allemande à Figuig ?
H.B. : Tout et nous avons beaucoup de choses à apprendre de Figuig.
F.N. : Vous dites beaucoup de choses à apprendre, Monsieur ?
H.B. : Oui ! C’est comme vous l’entendez !
F.N. : Cela nous étonne qu’une minuscule ville comme Figuig ait des choses à apprendre à une grande ville comme Berlin.
H.B. : C’est que vous ne voyez pas très bien les choses.
F.N. : Comment ?
H.B. : Figuig est non seulement grand mais il a beaucoup d’avance sur nous !
F.N. : Ça alors !
H.B. : Oui, ne voyez-vous pas que nos passés tout comme nos présents se ressemblent énormément ? Vous avez même beaucoup d’expériences que nous et c’est cela qui nous intéresse en premier lieu dans ces échanges.
F.N. : Comment ?
H.B. : Pour commencer, démographiquement parlant, votre ville connaît une stagnation voire même une régression comme d’ailleurs l’ensemble de l’Allemagne.
F.N. : Oui mais ce n’est pas ce qui vous intéresserait en premier lieu ?
H.B. : Certes non mais je vous rappelle que vous avez perdu des guerres et nous avons perdu des guerres tout comme vous mais vous les aviez perdues des décennies avant nous.
F.N. : Et alors ?
H.B. : Vous avez payé votre défaite et vous la payez toujours !
F.N. : Vous aussi donc !
H.B. : Oui ! Nous la payons toujours. Nous travaillons jour et nuit et nous développons notre technologie et notre productivité seulement pour payer les dettes que nous avions contractées suite à notre défaite.
F.N. : Mais là vous êtes plus forts que nous car nous n’avons rien à donner à nos vainqueurs : ni industrie, ni agriculture, ni minerais, ni…
H.B. : Vous ignorez votre histoire ! Vous avez payé votre défaite avec de l’or. On vous a désarmé et pire encore ! Vous payez toujours et plus cher que nous et c’est ce qui nous intéresse le plus dans ces échanges !
F.N. : Comment ?
H.B. : Vous payez depuis plus d’un siècle et plus cher que nous. Vous payez même trop cher car on vous a amputé des territoires depuis très longtemps et personne ne reconnaît votre malaise. Personne ne parle de vous même pas votre pays, même pas vous-mêmes !
F.N. : C’est inouï ! Mais… comment avez vous su tout cela ?
H.B. : C’est que je suis historien de formation !
F.N. : Vous parlez de défaite donc ?
H.B. : Oui et votre vainqueur est le même que le nôtre. Au début !
F.N. : Vous dites « au début ».
H.B. : Oui car par la suite votre vainqueur vous a légués à d’autres plus inhumains, plus féroces et plus violents que lui… !
F.N. : Oui mais qu’est ce que nous avons à vous apprendre Monsieur le Maire dans toute cette histoire ?
H.B. : Nous voulons comprendre, ici même à Figuig, comment se fait-il qu’un peuple expatrié et dépossédé arrive à survivre presqu’un siècle et demi après.
F.N. : Vous nous étonnez Monsieur mais votre pays était partagé en deux parties.
H.B. : Nous étions coupés en deux et vous connaissez bien Berlin Est et Berlin Ouest et l’Allemagne de l’Est tout comme L’Allemagne de l’Ouest. C’est presque le cas pour vous. Vous avez un Figuig du Nord et un Figuig du Sud que vous appelez At Winifen ou Beni Ounif etc.
F.N. : C’est tellement vrai !
H.B. : Nous, en Allemagne, nous avons pu nous unir et briser le mûr qui nous séparait mais pour vous, c’est tout à fait le contraire qui arrive. Vous consolidez encore plus vos frontières et vous les durcissez plus. Curieusement vous avez tous les moyens pour boucler votre pays et vous êtes même très généreux pour ça. Il est très aisé de voir à quel point vous maîtrisez les technologies de pointe. Je vous rappelle que vous aussi, vous avez ces fameuses technologies !
F.N. : Technologies de pointes ?
H.B. : Oui car dès qu’un âne, un chien, une chèvre, un chacal ou un sanglier envisagent de mettre leurs pattes sur la fameuse ligne de frontière qui vous coupe en deux, sa photo, son identité, son appartenance, son âge et même son génome s’affichent aussitôt … et l’alarme est aussitôt déclenchée pour les attraper et les condamner. Que dire encore des hommes ? Nous, nous n’avions jamais eu cela entre les deux Allemagne.
F.N. : Si nous avons bien compris, vous allez apprendre à vos partenaires marocains comment construire des murs comme ceux d’autrefois à Berlin mais entre les deux parties de Figuig !
H.B. : Non ! Là, comme je viens de vous préciser, vous êtes plus avancés que nous et nous n’avons rien à vous apprendre ! Vos frontières sont infranchissables même pour les rayons de soleil et le vent ! Même les fantômes ne parviennent à traverser ces immenses mûrs de haine, de honte, d’inimitié, de discorde, de morosité… Votre vainqueur n’a plus besoin de venir ici : il a ses propres représentants et il surveille tout depuis son continent avec des yeux qu’il a installés même dans le ciel de votre ville.
De ce côté, nous n’avons pas besoin de tout ce savoir très suicidaire. Nous espérons ne pas arriver à ce point et nous cherchons à nous immuniser contre cette folie meurtrière.
F.N. : Monsieur le Maire, vous cherchez à vous immuniser contre cette folie meurtrière mais vous oubliez que vous êtes derrière tout cela car c’est bien marqué « Made in Germany » sur toute cette technologie de pointe !
H.B. : Oui mais pas que nous, c’est marqué même « made in France, made in Japan… ». Nous ne sommes pas les seuls à être derrière vos maux. Il ne faut pas nous accuser d’être derrière tous vos maux.
F.N. : Donc dans vos échanges, il y a aussi ce volet ?
H.B. : Oui en fait ! C’est une question de méthodologie : quand on fabrique un produit et quand on invente un procédé, on doit l’essayer sur des cobayes et on doit assurer le suivi pour l’expérience.
F.N. : Monsieur le Maire, merci et peut-être un petit mot sur notre journal ?
H.B. : À Berlin, nous n’avons pas un équivalent pour votre merveilleux journal et j’avoue que là aussi, nous avons des choses à apprendre de vous sauf qu’il me semble que vous ignorez tout ou presque sur vous-même et vous vous contentez de tout mettre sur le compte du colonisateur sans oser vous mettre en question.
F.N. : Monsieur le Maire, merci encore une fois pour votre disponibilité et pour votre franc-parler.
H.B. : Je vous remercie aussi pour cet entretien très intéressant.
Hassane Benamara
©Figuignews.com 2012
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