Mô et le touriste
à Figuig, un étranger qui paraît être un touriste égaré ou mal renseigné a rencontré un jeune garçon avec qui il a échangé les paroles que voici. Il s’agit d’un dialogue hyperréaliste que nous rapportons fidèlement ici.
Dessin Pali 2012-09-28
L’étranger : Bonjour monsieur.
Mô : Bonjour.
L’étranger : Vous êtes d’ici ?
Mô : Que veut dire être d’ici ?
L’étranger : Je voulais savoir si vous êtes originaire de Figuig ?
Mô : Oui monsieur.
L’étranger : Votre père aussi est originaire de Figuig ?
Mô : Oui, mon père et tous mes aïeux jusqu’au dernier. Nous avons poussé ici comme ces plantes qui n’ont pas de noms chez vous.
L’étranger : Vos montagnes sont d’une rare beauté. Elles forment un très bel amphithéâtre autour de vous et elles changent constamment de couleurs. Je n’ai jamais vu d’aussi belles montagnes.
Mô : Vous vous trompez monsieur !
L’étranger : Comment ?
Mô : Vous dites « vos montagnes » !
L’étranger : Enfin, je veux dire les montagnes de Figuig.
Mô : Vous vous trompez encore plus.
L’étranger : Comment ?
Mô : Vous dites « de Figuig ».
L’étranger : Que vais-je dire alors ?
Mô : Vous savez monsieur, ces montagnes nous appartenaient aux temps où nous étions des hommes libres. Nos ancêtres leur ont même collé de très beaux noms de notre langue. Ils les ont appelées Taghla « l’oasis », Jerman « entre deux rivières », Grouz « immense couloir montagneux » », azeghdis « flanc », Tamezought « oreille » etc.
L’étranger : Mais qu’est ce que vous dites ? J’avoue que je ne comprends rien à votre propos.
Mô : Je veux dire simplement qu’il ne faut pas dire « vos montagnes » ou « montagnes de Figuig » mais « leurs montagnes ».
L’étranger : C’est à dire ?
Mô : C’est à dire les montagnes de l’Algérie. C’est à dire les montagnes de Beni-Ounif pas de Figuig.
L’étranger : Ah bon ?
Mô : Oui monsieur. Nos montagnes sont devenues algériennes. Si nous nous en approchons, les armées de notre pays nous arrêteront et nous transfèreront à Bouarfa qui nous enverra à Oujda pour manger des pois chiche dans les cachots pendant des mois. Si nous contournons leurs vigilances, des caméras européennes les éveillent et des ordres leur arriveront depuis Bruxelles pour nous arrêter. Si malgré tout nous osons avancer, les Algériens tireront sur nous ou ils nous enverront à Bechar pour manger des pois chiche pendant six mois dans leurs cachots gratuitement ! C’est la générosité officielle en Algérie.
L’étranger : Tu veux dire que ces montagnes ne sont pas à vous ?
Mô : Pire monsieur ! Nos montagnes, nos rivières, notre espace aérien, les entrailles de notre terre et même plus car nous ne devons pas faire trop de bruits pour ne pas déranger nos frères dans la religion ! Par exemple, nous ne devons pas jouer avec des pétards pendant les fêtes quand il y en aura une…
L’étranger : Ah, je comprends la raison pour laquelle, elles sont très noires et pourquoi elles changent constamment de couleurs. Elles sont donc noires de chagrin. Elles changent à force d’émotions et elles sont ridées de tant de soucis ! Merci monsieur. C’est que si l’on dit Figuig de Beni-Ounif de l’Algérie c’est correct ?
Mô : Vous êtes sur la bonne voie touriste ! Mais, n’avez-vous pas fait attention aux nombreux barrages avant d’arriver dans ce cachot ?
L’étranger : Pardon, je me croyais dans une oasis !
Mô : Vous ne vous trompez pas car une oasis est un groupe d’hommes entourés de militaires !
Hassane Benamara
©figuignews.com 2012
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