aljama3a assolalya hammam elfougani

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Mekki Atman par lui même

 

Dans cette note, nous revenons avec Mekki Atman, le poète, le parolier, le chanteur et l’homme sur son expérience dans le domaine de la poésie berbère et sur son parcours de façon très générale. Il faut signaler qu’il est populaire à Figuig depuis les années 70 et qu’il a su résister à l’érosion et à la dépréciation systématique de la culture de Figuig depuis quelques décennies par sa production, par son sens de l’engagement et par sa quête de l’authentique.

 

 

 

 

Une scolarité et un parcours

Je suis né de parents figuiguiens en 1953 à Figuig. J’ai entamé mes études dans cette ville et par la suite je me suis déplacé pour les continuer à Oujda. Je les ai abandonnées en 1970-1971. A l’époque, il y avait des troubles politiques et je ne pouvais pas bien les mener. La matière que je préférais était les mathématiques mais mon professeur de cette matière de l’époque ne me plaisait pas assez. C’était un Français et il avait des manières très coloniales de nous traiter. Il était trop violent avec nous et nous punissait physiquement de façon très agressive. Je ne pouvais pas supporter cela.

Feu mon père était à Rabat ; je me suis rendu chez lui et lui ai demandé que je poursuive mes études dans cette ville. Il a refusé car, m’a-t-il dit, il n’avait pas l’intention d’y rester. Il comptait retourner en France où il travaillait auparavant. Je suis retourné donc à Figuig. En 1971-72, j’ai travaillé dans les bureaux d’état civil. De là, je suis passé à l’armée jusqu’en 1985 et j’ai travaillé dans un hôtel jusqu’en 1990. J’ai exercé ensuite dans le domaine agricole en tant que gérant de fermes puis je me suis engagé dans des affaires personnelles qui ont échoué faute de moyens. En matière d’affaires, je ne pense jamais au profit mais à la réussite de projets et à la concrétisation de rêves. En 2001, j’ai quitté le Maroc vers la Belgique.

Takherbich, rue Lajmaat, quartier où j’ai poussé. ph. Figuignews

A l’armée comme à l’armée

Par la suite, je me suis inscrit volontiers pour passer mon service militaire. Je me suis dit qu’en passant l’armée je m’en débarrasserais. C’était le mois de mars 1973.

J’ai passé en tout 13 ans dans l’armée dont 18 mois de service militaire. Des formations nous ont été proposées à moi et à ceux qui avaient un statut comme le mien. Parmi ces formations, il y avait l’hôtellerie. J’ai donc passé un concours d’accès à la formation en hôtellerie et j’ai réussi. Un colonel (instructeur) nous a informés que nous étions des rappelés, que la formation nécessitait trois ans et qu’un contrat de quatre ans de travail était obligatoire.

Nous étions, moi et mes amis, la première promotion de militaires à bénéficier d’une telle formation au Maroc.

Le jour où l’on m’a annoncé ma réussite au concours, mon père était venu de France chez moi à Fès. Il m’a dit que sa mère était très malade. Je lui ai raconté mon affaire. Je n’avais d’autre chose à faire que l’engagement dans l’armée ou le départ pour l’étranger. Il m’a dit :

            – Préfères-tu ma vie d’émigré : tu as vingt ans et je t’ai vu vingt mois dans toute ta vie ?

J’ai dit :

            –  Non.

Il m’a dit :

            – Si tu peux faire l’armée, vas-y.

A peine avons nous entamé la formation que le roi Hassane II a lancé un discours sur la Marche Verte et notre école a fermé ses portes : l’affaire du Sahara est mise au devant de la scène nationale et internationale et cela m’a obligé de rester dans le statut de « rappelé ».

Je me suis dirigé vers mon colonel et il m’a dit :

            – Avant, nous avions besoin de vous pour nous servir des repas, aujourd’hui nous aurons besoin de vous pour nous servir des munitions.

L’école est fermée ; on nous a envoyés au Sahara. Mon contrat a pris fin mais un décret royal stipulait que «tout militaire arrivant en fin de contrat ne désirant pas rengager est maintenu par tacite reconduction de contrat jusqu’à nouvel ordre».

Mon contrat est achevé mais ils m’ont retenu et j’ai fait treize ans dans l’armée depuis 1976. J’ai passé tout mon temps au Sahara (à Smara, Laayoune, J’dirya, Houza, Lmehbes…). J’étais au front face au Polisario. La plupart du temps, j’étais responsable du ravitaillement ou du matériel. J’ai assisté à plusieurs batailles, j’étais dans la logistique (carburant, munition, nourriture…). Je n’étais pas à l’aise là-bas car je comptais quitter l’armée mais j’ai passé cette période facilement malgré les conditions climatiques, le manque de nourriture surtout de 1976 à 1980 car il n’y avait pas assez de nourriture vu le manque de moyen de transport et de communication. A près la construction du grand mur du Sahara, notre situation a changé. Avant  ce mur, le Polisario nous posait des mines sur notre route et gênait considérablement notre circulation et notre mobilité. A l’époque, on se ravitaillait chaque mois.

A l’armée !

Les débuts dans la chanson

Il y a des chansons que j’ai composées en étant dans l’armé. Ma première chanson, je l’ai écrite en arabe sur les grèves à Oujda au lycée Omar mais je l’ai oubliée depuis ces temps-là. Ce qui m’a donné un goût pour la poésie c’était feu Saïd O’Lkouch. Un jour, il était chez nous à la maison et il m’a fasciné par la vitesse à laquelle il trouvait des rimes pour toute chose qui sortait de ma bouche. Dans notre maison, des femmes se réunissaient et en tissant elles chantaient et cela m’a aussi bien imprégné. C’était merveilleux !

J’ai passé beaucoup de temps avec des artistes comme Abdelmalek O’Boutkhil, Môu Douddou Aheddad, Môu Dadi, Faya Kassou. Les grands c’est à dire ceux des anciennes générations, malheureusement, je ne les ai pas beaucoup côtoyés.

Café Mellal O’Kadi où j’ai travaillé pour un temps. ph. Figuignews

L’inspiration

J’ai fait mon premier essai de poésie sur ma famille qui m’a conseillé de ne pas le communiquer aux autres en dehors de la famille. Le premier poème que j’ai présenté devant le public c’était Ifeyyey sad izyan(en 1971) puis Sslati wa sslam εlik. C’était donc avant que je passe l’armée. Après, c’était Leγrib, Ruh ay anekhdam, Ttejnid, Tabrourey (le 5-5-1975). Après l’armée, j’ai passé une période d’infécondité où je ne produisais pratiquement rien.  Moi, je ne compose de chanson qu’après un besoin. Pendant la semaine culturelle de 1994, j’ai écrit Assou ad nesseεla dad. Pour cette occasion, on m’a demandé d’écrire quelque chose lors de la restauration de l’école Nahda. En gros c’est l’événement qui m’incite à écrire. Amεayar n sent twachounin, je l’ai écrite avant la période de l’armée. Il y avait, un jour, une fête de mariage au ksar At Aaddi et en sortant de la fête, j’ai vu deux fillettes toutes figuiguinnes l’une venant du Gharb parlant en arabe et l’autre parlant en tamazight. De là, je suis revenu chez moi et je composais en route ce poème. C’était avant 1973. A l’époque, je travaillais au café de Mellal O’Kadi. J’ai, en tout, produit une quarantaine de poèmes.

Dans l’armée, j’ai écrit Leγrib, Ttejnid (à Oujda en tant qu’appelé). Vers les années 80, l’association Al-hadaf m’a proposé de transcrire mes poèmes car je n’écrivais rien et je gardais tout dans ma mémoire en répétant et en chantant. Je travaillais mentalement sans rien écrire. L’orale !

Vers 1985, j’ai écrit mes poésies dans un cahier que j’ai donné à l’association Al-hadaf. J’écris souvent sur l’actualité, sur un problème vécu par les gens ou une scène que je vois… Le poème Tazdayt, je ne sais pas ce qui m’a incité à le produire ni même pas comment. Manessinen nechni, je l’ai écrit à Agadir où je travaillais dans une ferme. Un jour dans cette ville, j’ai vu quelqu’un de Figuig qui tenait de mauvais propos sur l’ensemble des figuiguiens sous prétexte que certains hommes parmi nous ne sont pas à la hauteur de la responsabilité et ont trahi même leurs frères… Mais je lui ai dit : « pourquoi ne vois-tu pas les nombreuses personnes qui ont sacrifié leurs vies pour nourrir leurs frères et leurs parents ? » C’est cet incident qui m’a inspiré ce poème.

A l’époque des fameux orages du  5-5-1975 dits Tabrourey, j’étais à l’armée très loin de Figuig mais on m’en a beaucoup parlé et j’ai composé la chanson qui prend le nom de cet événement. Pour la chanson sur le médecin feu Hammou Douddou, j’ai parlé de la vie et de l’oeuvre de ce médecin hors du commun. C’est sa mort qui m’a incité à écrire sur lui.

Une manière de faire et une manière de voir

Mes chansons, je les aime toutes. Quand j’écris c’est dans un but précis et dans une intention bien déterminée avec un message lui aussi précis.

En commençant un poème ou les paroles d’une chanson, je ne vois pas tout de suite sa fin ou son aboutissement. Je ne compose de poème qu’après avoir fini un autre. Je ne compose jamais plusieurs poèmes à la fois.

Je ne joue pas d’instrument de musique. J’ai appris un peu le luth à Agadir (2 ans de formation) mais j’ai abandonné.

Pour la composition de chansons, je la fait sur le model d’une chanson c’est à dire en prenant des airs déjà connus comme une sorte de moules sinon, je trouve des airs propres à moi.

J’avais comme principe d’écrire avec des mots décents ou polis et que l’on peut dire ou chanter devant tout le monde. J’ai commencé par lire mes poésies devant ma mère, ma soeur… Je me suis dit aussi que la poésie ne me permettra pas de gagner ma vie. Quand je regarde la vie de mes prédécesseurs, je ne vois personne qui vivait de son art. Un jour, j’ai animé une fête au ksar At Aamer et un homme est venu me payer car, selon lui, j’ai bien animé la fête. Je lui ai dit : « est-ce que tu as payé aussi le public qui dansait, qui applaudissait… ?» J’ai donc refusé cet argent.

Pour mes oeuvres, je dis le contraire de ce qui se dit normalement et je demande à toute personne ayant mes chansons de les diffuser sans aucun problème.

A la maison, ma mère aimait bien mes poèmes. Je l’ai faite pleurer plusieurs fois en m’écoutant.. En 1995, il y’avait des vieux que ma poésie a fait pleurer.

« Le vieux a pleuré et m’a fait pleurer moi aussi ». ph. Figuignews.com

A l’étranger, on m’appelle par fois. Une fois un groupe de gens du ksar At Lamiiz m’a appelé et j’ai fait pleurer un homme très âgé. Il a pleuré et m’a fait pleurer moi aussi. C’était à propos du poème que j’ai écrit sur Nahda – At Rabεin. Cela lui a rappelé bien des choses. Il m’a dit : « tu m’as fait vivre un passé glorieux ».

Un autre homme, un jour, m’a dit : « tu écris bien et ta poésie est très bien élaborée mais pour quoi n’écris-tu pas en arabe puisque tamazight est une langue qui va mourir ?»

Je lui ai répondu : « si j’écris en arabe, ma poésie perdra tout son sens et comme j’écris sur une société, à mon avis nulle autre langue ne peut traduire la réalité que vit cette société en dehors de la langue amazighe ».

Ils ont écrit sur moi

Une fois Sassa O’Lkouch a écrit sur moi dans le journal de l’USFP (Al-ittihad Al-ichtiraki). Une autre fois, on a écrit sur moi dans Acharq, le journal régional d’Oujda. C’était tout.

L’IRCAM (Institut Royal de la Culture Amazighe) ne m’a jamais appelé et les festivals de poésie amazighe ne m’ont jamais invité.

Projets

Je compte enregistrer mes chansons de façon professionnelle dans un studio et, selon les opportunités, publier le tout sur un ou des livres mais malheureusement, je ne suis pas très stable et je vis un  peu loin du Maroc. J’avais en tête d’écrire et de publier mes poèmes mais je ne peux pas me lancer dans leur publication car cela pourrait me ruiner et je n’ai pas ce souffle. Si quelqu’un pourrait s’occuper de la publication de mes oeuvres avec traductions, si c’est possible, en arabe et en français, ce sera très bien mais, personnellement, je n’ai pas de moyens. Une traduction approximative ou des résumés de poésies peuvent suffire. Je sais bien que la traduction ne sera jamais efficace quelle que soit la maîtrise de la langue d’origine et de la langue cible.

A présent, je compose des proverbes ou des aphorismes personnels, exemple : « trahed al adday n ouzday a dis tebbyed tiγemmin » sur l’avarice, etc.

Autres actvités

Dans le but de faire connaitre au mieux notre ville et notre culture en Europe (en Belgique comme en France), j’anime des soirées culturelles. L’association Tazdayt dont je suis membre fondateur est en partenariat avec l’association AWSA avec laquelle nous animons des soirées de chansons tamazight. Je suis aussi membre d’une association qui s’appelle « al belart » : association d’artistes de tous horizons que je salue pour l’occasion. Je chante avec l’accompagnement, en luth, de Boubker O’Bouhsen. Je participe quand les conditions le permettent, et ce toujours dans le but de faire connaitre notre culture figuiguienne, à diverses activités.

Message pour jeunes chanteurs

ph. Figuignews.com

Pour les jeunes, je ne sais pas exactement ce qu’ils font. La musique locale très influencée par la musique occidentale, je ne l’aime pas. Ce n’est pas une haine mais cette musique ne me fait pas plaisir. Je ne connais aucun chanteur occidental et je n’ai appris aucun air de ces chanteurs. J’aime bien, chez les jeunes la chanson Tenna-yi dd henna s Ifeyyey. J’aime bien la musique algérienne… !

J’aimerais bien qu’il y ait des groupes qui n’utilisent pas trop de matériels électriques ou des effets électroniques. Je pense que nous devons chercher à faire sortir des musiques à caractéristiques locales comme les autres régions tels que l’Atlas, le Souss… Le Rif est, lui, en quête de style typiquement rifain.

Les jeunes doivent bien travailler leurs paroles sans se soucier du commerce et essayer d’exploiter les instruments de musique locaux ou régionaux et le fond culturel de Figuig.



23/10/2012
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